Le matériau paille

L'isolant du futur ?

Quelques calculs et références en terme d'isolation

Parmi les avantages, commençons par l'aspect technique. La paille possède une conductivité thermique (pouvoir isolant lié au matériau) assez bonne sans être exceptionnelle : ce coefficient, appelé "lambda" a été estimé à 0.05 W/(m.K) (source : rcfp).  Il faut savoir qu'on considère isolant un matériau pour lequel ce lambda est inférieur à 0.06 . Par exemple, contrairement à une idée reçue, le bois massif, même sec a un lambda qui n'est jamais inférieur à 0.10 ! Ce n'est donc pas un matériau isolant... Par contre il reste plus isolant que du métal (lambda de 30 au moins !) ou des parpaings (lambda de 1 environ). Même le béton cellulaire qui est considéré comme "isolant" reste plutôt médiocre et se rapproche du lambda du bois. Voici quelques exemples de lambda sur ce site
Parmi les isolants nous avons la fameuse laine de roche qui a actuellement un lambda au environ de 0.035 (pour les meilleures). Les isolants comme la ouate de cellulose ont un lambda aux alentours de 0.030, le liège passe pour un des meilleurs isolants avec 0.025 notamment.
Avec cette valeur, on définit une résistance thermique totale d'un mur par exemple en divisant l'épaisseur de la paroi (en mètre) par le lambda : R = e / λ (exprimé en m2.K/W)
Un exemple : 20cm de laine de verre en "gr40" (lambda de 0.04) ca donne R = 0.2 / 0.04 = 5
Il faut savoir que pour les combles, même ce site subventionné par isover (saint gobain) conseille un R de 8 pour être conforme à la rt2012 ! Conclusion, il faudrait au moins 32cm de cette laine de verre pour pouvoir espérer atteindre ce fameux R=8...
Notre paille faisant environ 40cm d'épaisseur, nous avons donc pour nos combles un R=8 ce qui même en Savoie est excellent.
La laine de verre a cependant d'autres inconvénient notamment sa tenue dans le temps, sa sensibilité à l'humidité, mais surtout une mauvaise gestion de la chaleur d'été ... le déphasage

Le déphasage

On oublie souvent cette valeur quand on calcule les isolants, alors qu'elle est fondamentale. C'est ce qui permet de nous protéger notamment des surchauffes d'été. Cette valeur est un peu liée à la masse volumique et au matériau lui même.
En gros, il s'agit du temps en heures que met la chaleur a pénétrer l'isolant. Pour un bon confort d'été, on estime qu'il faut un déphasage d'au moins 10 heures. De cette manière, en admettant une température intérieure et extérieure de 20° à 7h du matin qui grimpe à 35° à 11h, il faudrait 10h+11h = 21h pour que les 35° atteignent l'intérieur de l'isolant. Or à 9h du soir le soleil se couche et la température diminue, le processus s'effectue donc dans l'autre sens et la maison est protégée des surchauffes.
Avec le même exemple pour notre laine de verre sur 30cm dans les combles, on obtient un déphasage médiocre d'environ 6 à 8h... Ceci explique pourquoi de nombreuses maisons récentes isolées en laine de verre ont besoin de climatiseurs l'été. Après avoir traversé l'isolant, la chaleur se stocke dans les meubles, dans le carrelage, dans les cloisons, et avec cette inertie elle mettra encore quelques heures de plus à s'évacuer la nuit, même en ouvrant toutes les fenêtres...
Avec la paille, nous avons un déphasage exceptionnel de 13h minimum sur 40cm de paille... De quoi être tranquille pendant les plus fortes canicules. En outre les combles ventilées permettent d'augmenter cet effet, notamment en évacuant la chaleur amassée par les tuiles sur le pan sud.
Cet outil en ligne un peu ancien (valeur des lambda non à jour) permet d'avoir une idée du déphasage de différents matériaux.

L'effusivité

Cette valeur est un peu plus difficile à comprendre. Tiré de wikipedia :
l’effusivité décrit la rapidité avec laquelle un matériau absorbe les calories. Plus l’effusivité est élevée, plus le matériau absorbe d’énergie sans se réchauffer notablement. Au contraire, plus elle est faible, plus vite le matériau se réchauffe.
Ceci permet de comprendre pourquoi certains matériaux sont perçus comme "chaud" (le bois) et d'autre comme froid (le métal, ex : les baignoires en fonte). Prenons le cas d'une main à 37° posée sur du bois et sur du métal dans une pièce à 20°. Le métal va absorber plus vite les calories de la main qui "captera" une température (21°) inférieure à celle ressentie sur le bois (28°) (calcul détaillé sur wikipedia) . C'est cet effet qui donne la sensation de "paroi froide" dans les maisons en pierre non isolées en intérieur par exemple à l'intersaison.
La paille est un matériau à faible effusivité, comme le liège et d'autres isolants, ce qui assure un confort thermique en hiver.

L'inertie thermique

Cette valeur caractérise la capacité d'un matériau à stocker la chaleur et à la restituer lentement. Elle est en grande partie liée à la densité (ou masse volumique) du matériau. Ainsi les maisons en pierre ont une très bonne inertie thermique, ce qui leur permet de stocker la chaleur accumulée pendant l'été et garantissent un début d'automne agréable sans trop de chauffage. Par contre cet effet sera perdu au printemps où ces mêmes murs "accumulent" le froid. La paille comme beaucoup d'isolant n'a pas une bonne inertie thermique, et c'est le défaut de ce genre de maison. Il faut donc compenser ce manque en créant de l'inertie à l'intérieur. L'objectif est par exemple d'accumuler la chaleur hivernale qui pénètre par les baies vitrées -> on peut utiliser pour cet objectif un carrelage sombre qui accumule dans la chape sous-jacente les calories et les restitue la nuit. Un poêle de masse est aussi une bonne solution pour créer de l'inertie thermique dans une maison en paille. Notre isolant phonique d'étage sera l'équivalent de 6 m3 de sable, ce qui crée également un peu d'inertie en intérieur...

Le faible coût

La paille a un coût de revient imbattable au m2, même si on la compare au plus médiocre des isolants industriels comme la laine de verre. Sur une maison complète, l'économie réalisée est très importante et peut se calculer à 5 chiffres... Dans notre cas, nous avons dépensé pour isoler 120 m2 de maison plus 35 m2 de garage (doublé d'un étage) avec un R=8.5 en murs et toiture un total de 2000 € environ tout compris. L'inconvénient de la méthode paille tient dans la mise en oeuvre : il s'agit d'un matériau non industriel, les côtes ne sont pas standard et surtout il faut "bidouiller" de nombreuses fois, procéder à des découpes, à des rebouchages, etc. Un chantier impensables pour des professionnels, puisque nous sommes dans un pays où les coûts de main d'oeuvre sont très importants.
La paille connaîtra t elle une filière pro avec des panneaux préfabriqués ? Quelques entreprises commencent à proposer ces solutions pour les pros. Les prix sont pour l'instant bien au-delà des solutions traditionnelles ou des solutions écologiques type ossature bois + isolation laine de bois.

Une durabilité exceptionnelle

Comment vérifier la durabilité d'un tel matériau ? Il existe en France une maison étonnante, rachetée récemment par le réseau francais de la construction paille, une association anciennement appelée les "compaillons". Cette maison date de 1920 et a été construite par un ingénieur Emile Feuillette. Les bottes de paille ont été inspectées et la maison a été scannée à la caméra thermique pour la classer selon les critères modernes, avec un résultat étonnant (cf . cet article de 2012 extrait de "la maison en paille" (Ed. Terre Vivante)
Un article étonnant de modernité a été publié en 1921 sur la revue "la science et la vie" à propos de cette maison d'avant garde, il est consultable sur ce lien.

Isolation acoustique

Bon isolant phonique, la paille a été testée selon la norme EN ISO 140-1:2005 par le FASBA, les résultats du tests sont disponibles ici
Une atténuation pondérée de R = 45 dB aux bruits aériens est un très bon résultat, pour comprendre un peu mieux ces valeurs, je vous renvoie à cet excellent article, résumé ici :
R = 30 dB(A) : inefficace, on entend tout d’une pièce à l’autre
R = 35 dB(A) : faible, on entend les voix, à la limite du compréhensible
R = 40 dB(A) : assez bon, une conversation devient inintelligible
R = 45 dB(A) : bon, logement calme
R = 50 dB(A) : excellent isolant
Avec une telle valeur, il est probable que les bruits passent par les vitrages qui n'auront pas une aussi bonne atténuation acoustique

Et les insectes, les rongeurs ?

La maison Feuillette de 1920 n'a pas connue d'attaque dévastatrice de ses bottes de paille. L'ingénieur avait prévu à l'époque tout un réseau de canalisation qui passaient dans la paille pour venir empoisonner la "vermine"... canalisations qui n'ont en fait jamais été mises en service.
Il semble cependant raisonnable de penser qu'il faut calfeutrer les accès à l'isolant, notamment avec la mise en place de grilles anti-rongeurs en bas de murs par exemple...